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Mallarmé

Aller-retour Vienne-Paris à la Philharmonie

04/12/2018 - Classic Agenda - Irène Mejia Buttin
Samedi 24 novembre, à la salle des concerts de la Cité de la musique, un programme « Ravel – Debussy – Mahler » proposait un aller-retour entre Paris et Vienne aux côtés de l’orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine. Compositeurs français et autrichiens se côtoyaient et partageaient avec enchantement les premières heures du XXème siècle.

Le chef d’orchestre Jean-François Heisser replace en quelques mots l’initiative de ce programme. Dans le cadre de sa Société d’exécution musicale privée fondée en 1918, Schoenberg prônait la découverte du répertoire contemporain en proposant une approche innovante où les spectateurs étaient invités à assister aux concerts mais aussi aux répétitions, permettant ainsi une imprégnation plus profonde d’une musique encore méconnue du grand public. C’est à cette occasion que l’on présenta, entre autres, les œuvres au programme de cette soirée. 

Mais notre interlocuteur invite cette fois à l’écoute analytique, détournant les mots de Schoenberg qui, dans le cadre de ses concerts, ne souhaitait pas la bienvenue aux critiques et à la presse… Bien que l’on puisse écrire et penser librement ce soir, il est difficile de faire autrement que de saluer le brio des interprètes. Surtout lorsque l’on découvre les deux jeunes chanteuses Victoire Bunel et Clarisse Dalles. L’une, sobre et gracieuse, l’autre sensible et fascinante.

L’orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine ouvre ce concert délicat et remanié avec le Prélude à l’après-midi d’un faune, composé par Claude Debussy en 1894 mais présenté dans la transcription de 1920 de Hanns Eisler et Benno Sachs. L’orchestration diaphane originelle est abandonnée. La harpe prête les ondulations de son faune lascif au piano, alors que les dernières mesures sont confiées à l’harmonium et trahissent les traits de son « second compositeur » allemand, qui semble avoir encore à l’esprit les atmosphères enfumées des cabarets saxons.

Après l’entracte, nous écoutons la Quatrième symphonie de Gustav Mahler. La transcription d’Erwin Stein de 1921 lui propose un effectif réduit et dévoile l’écriture de cette partition éminemment chambriste qui la distingue des derniers opus de Mahler. Cependant, ce qu’il reste de Mahler est surprenant. Il jouit des dernières lueurs du XIXe siècle décadent, fait son adieu pastoral à la tonalité, à ses réminiscences populaires et à son folklore bien-aimé. Une ambiance « forestière » mène ces trois mouvements et les dévoile à travers des moments extatiques, d’autres contemplatifs, certains teintés d’humours. Enfin, on entend résonner des chants d’oiseaux au loin, jusque dans les derniers instants du soleil déclinant.

Celle que l’on avait saluée en entrant sur scène et dont on attendait les premières respirations pendant trois longs mouvements, se lève enfin. Clarisse Dalles est à ses débuts, mais ils sont prometteurs. Cette jeune femme, peut-être encore incertaine de sa présence scénique, émeut par la profondeur de son chant. La maturité musicale, la souplesse de ses lignes et le sentiment d’un don naturel exceptionnel dans la mise en œuvre de la musique porte cet univers mahlérien avec des accents de vérité. Cette interprétation sincère touche les spectateurs pour les éblouir et bien sûr les charmer. Après un long silence, voilà qu’elle s’épanouit, qu’elle éclate et bientôt qu’elle sourit dans les derniers accords.
Un sourire au public qu’elle a conquis, à la musique qu’elle a transcendée et au texte qu’elle s’est approprié (« Ces voix angéliques réchauffent les cœurs ! Et tout s’éveille à la joie »).

Il semble évident que ces deux musiciennes sont promises à un bel avenir musical sur la scène française.