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Le Couronnement de Poppée, Guillon/Huffman, Opéra de Rennes

Crédit : Laurent Guizard

Le Couronnement de Poppée, Guillon/Huffman, Opéra de Rennes

07/10/2023 - Classique News - Emmanuel Andrieu

C’est avec l’un des principaux succès de la mouture 2022 du Festival d’Aix-en-Provence que s’ouvre la saison 23/24 de l’Opéra de Rennes, une production du Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi signée par le metteur en scène new-yorkais Ted Huffman. On y retrouve la scénographie spartiate de Johannes Schütz (ici reprise et adaptée par Anna Wörl), qui se distingue avant tout par cet énorme tube – moitié noir moitié blanc – qui reste suspendu au-dessus des protagonistes la soirée durant, comme un symbole de dualité entre le bien et le mal tout autant que leur fatal destin. Mais surtout Ted Huffman fait du vrai théâtre en musique, crée des personnages de chair et de sang, travaillés par l’ambition, et soumis à l’impitoyable dictature de leurs pulsions. Le physique des chanteurs permet de les dénuder et de faire parler leurs corps, à l’instar de la scène “trioliste” entre Poppée, Néron et Lucain, quand le duo final s’avère également d’un rare érotisme.

Presque entièrement renouvelée par rapport aux représentations aixoises, la distribution se montre du même haut niveau. A commencer par le contre-ténor étasunien Ray Chenez qui compose un Néron névrotique et sadique, avec un regard et une expression inquiétants, et qui convainc sans réserve autant par le jeu, très vif, que par le chant, d’une exceptionnelle autorité. A ses côtés, Catherine Trottmann peut paraître un peu trop charmante, douce et sincère pour incarner la manipulatrice et carnassière Poppée – car comment ne pas fondre devant la beauté de la voix et la musicalité sans faille de l’artiste, la jeunesse, la beauté et la sensualité qu’elle dégage, notamment dans les nombreux baisers et caresses qu’elle échange avec l’Empereur romain.

C’est également une grande émotion que suscitent la plénitude et la chaleur du timbre de la mezzo française Victoire Bunel (en Octavie) : son « Disprezzata regina », comme son adieu à Rome, comptent parmi les plus intenses moments de la soirée. De son côté, la jeune basse Adrien Mathonat possède toute la prestance de Sénèque, avec un grain de voix superbe, et toute la grande flexibilité exigée par ce répertoire. Déjà présent à Aix dans le personnage d’Othon, Paul-Antoine Bénos-Djian réitère sa performance, avec de splendides vocalises, chaque fois plus assurées et variées dans leurs inflexions. Maïlys de Villoutreys est une Drusilla délicieusement fruitée, tandis que le contre-ténor Paul Figuier campe les deux rôles de travestis que sont Arnalta et la Nourrice avec beaucoup d’aplomb, mais sans les excès habituellement liés à ces deux figures. Mentionnons, enfin, le délicieux Amour de Camille Poul tandis que Sebastian Monti (Lucain), Thibault Givaja (Libertus) et Yannis François (Le Licteur) complètent avec bonheur la distribution vocale.

Au pupitre, le chef rennais Damien Guillon dirige son ensemble Le banquet céleste avec autant de prudence philologique que de sensibilité dramatique. Malgré une instrumentation légère, il offre une lecture ample et charnue, souple, nerveuse et richement colorée de la magnifique partition de Monteverdi. Et c’est un succès amplement mérité que toute l’équipe artistique obtient au moment des saluts !


CRITIQUE, opéra. RENNES, opéra (du 1er au 8 octobre 2023). MONTEVERDI : L’Incoronazione di Poppea. C. Trottmann, R. Chenez, V. Bunel, P. A. Bénos-Djian… Ted Huffman / Damien Guillon. Photos © Laurent Guizard