Crédit : Simon Gosselin
La Traviata au Capitole : Le coeur dans la voix
24/04/2023 - Olyrix - Timothé Bougon
La Traviata, chef-d’œuvre de Verdi est repris à l’Opéra National de Toulouse dans une mise en scène haute en couleurs signée Pierre Rambert, sous la baguette de Michele Spotti avec une seconde distribution portée par Claudia Pavone, Julien Dran, Dario Solari.
La mise en scène dessine toujours aussi clairement la plongée, de la mondanité de l’acte I à la félicité quasi céleste du début du deuxième acte, qui se transforme bien vite en une descente aux enfers, littéralement : la fermeture du rideau de l’acte II voyant un spectre prendre Violetta par la main pour l’amener dans la lumière blême qui caractérise le dernier tableau. Blancheur livide brièvement réchauffée par l’espoir donné par l’arrivée d’Alfredo avant que l’espoir de guérison ne soit éteint et que descende ce grand Camélia blanc qui ouvre et clôt l’œuvre.
Elle se fait à nouveau l’écrin d’une performance théâtrale et vocale portée par trois nouveaux interprètes-protagonistes. Claudia Pavone incarne Violetta avec maîtrise et sensibilité. La ligne vocale est irréprochable, très proche du texte. Extrêmement précise dans son émission, la chanteuse sait exactement quand concentrer son timbre, se rapprocher de la déclamation ou au contraire lui donner la rondeur nécessaire pour exécuter des vocalises virtuoses. Ses aigus sont libres, bien préparés et elle sait également rendre ses graves sonores en les poitrinant (mélanger ou simplement passer du mécanisme de tête, typique de l’esthétique des voix lyriques féminines, à celui de poitrine plus proche du registre parlé).
À sa maîtrise de la voix s’ajoute une sensibilité musicale et théâtrale, épousant naturellement le texte et les nuances de la partition. Si l’acte I est marqué par des forte impressionnants (et un suraigu de cadence qui lui vaut déjà de larges applaudissements), elle fait montre dans les actes suivants de piani fins et touchants, le passage de l’acte II lorsqu’elle est déchirée par la promesse de quitter Alfredo, se faisant déroutant d’ingénuité. Ses adresses théâtrales sont précises, l’émotion est rendue avec sincérité et va crescendo d’acte en acte jusqu’aux piani touchants chargés d’intensité. Cette prestation marquante est saluée par une ovation générale du public.
Julien Dran prête son ténor lyrique et généreux à Alfredo. Doté d’une aisance et d’une liberté scénique évidente, il est dynamique dans son jeu de scène, plus physique dans ses interactions avec Violetta (que la distribution précédente). La voix est belle, chaleureuse et vibrante, la rondeur assumée de son timbre lyrique rendant l’intelligibilité du texte parfois inégale mais globalement claire. Ses interventions sont très déployées et peuvent parfois manquer du relief de nuances plus fines ou de répliques plus déclamées, comme il sait les offrir sur ses piani au dernier l’acte, épousant les nuances et l’émotion du moment.
Dario Solari incarne la figure paternelle de Giorgio avec son imposante voix de baryton. Son timbre est riche d’harmoniques et passe aisément l’orchestre, large mais suffisamment concentré pour ne pas être lourd et garder une totale intelligibilité du texte. Trouvant des couleurs variées tout à fait à propos en duo avec Alfredo, son timbre vient toutefois dominer quelque peu les nuances très fines proposées par Claudia Pavone. Doué d’une présence scénique marquée, ses adresses théâtrales peuvent cependant parfois manquer de précision.
Les seconds rôles reviennent dans les deux distributions. Victoire Bunel est toujours la sulfureuse et charmante Flora, sa voix chaleureuse épousant la dimension enchanteresse de son personnage. Cécile Galois se prête au rôle d’Annina, soutenant toujours l’intensité émotionnelle de l’action avec sa diction et ses adresses précises. Pierre-Emmanuel Roubet est un Gastone plus assuré, plus dynamique et explosif encore qu’à la première, sautant littéralement sur la table de l’acte II, à l’aise sur scène et dans son rôle. Le sérieux du Baron Douphol est bien incarné par Jean-Luc Ballestra, profitant d’une voix forte, belle et placée. Guilhem Worms fait sonner sa voix basse bien projetée pour donner corps au Marquis d’Obigny. Enfin, Sulkhan Jaiani garde son esprit de sincère simplicité pour remplir son rôle du Docteur Grenvil, soutenant l’intensité émotionnelle de l’acte III par sa voix de basse chaleureuse.
Les danseurs Natasha Henry et François Auger jouent les rôles muets des spectres, acteurs clés de cette mise en scène stylisée et offrent un numéro endiablé lors du chœur des matadors.
L’Orchestre national du Capitole est dirigé par Michele Spotti, toujours souriant, enthousiaste et dynamique. Ce dernier profite des voix plus sonores des solistes du soir pour jouer plus encore des forte de la partition, le son d’orchestre étant précis et chaleureux, d’une qualité égale et irréprochable.
Le Chœur du Capitole, préparé par Gabriel Bourgoin affirme lui aussi des forte plus impressionnants encore que la veille, dans le confort d’une vocalité lyrique particulièrement adaptée à cette musique de Verdi.
Cette deuxième distribution marque ainsi les esprits par la vocalité du trio principal et marque les cœurs par la performance, vocale comme scénique de sa Prima Donna. Paradoxalement, si cette deuxième distribution d’Alfredo et Giorgio Germont est plus lyrique et irréprochable sur le plan de la ligne vocale et de la technicité, elle ne compose pas, de ce fait, la même alchimie touchante entre les trois protagonistes. C’est pour Violetta que la quasi-totalité du public du Capitole se lève, afin de saluer et d’acclamer la performance mémorable d’une chanteuse avec le Cœur dans la voix.